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Monday, 27 July , 2009 / ermes

“A l’Ouest, rien de nouveau”


“Serguei Kovaliev, l’ami de Sakharov, demande à quoi servent les diplomates et les chancelleries si la seule alternative est soit la guerre, soit une définitive complaisance pour le règne des mafias et du despotisme ? A quoi servent les ministres des affaires étrangères s’ils s’avèrent incapables de prévoir des pressions économiques, culturelles ou diplomatiques susceptibles de civiliser quelque peu d’inquiétants voisins à nos frontières ?”

N’oublions pas l’assassinat de Natalia Estemirova !

par Andre’ Glucksmann, Le Monde 23.07.09

Vous savez tout. Depuis longtemps. Il n’y a aucun mystère. Natalia Estemirova a été supprimée parce qu’elle combattait le mensonge et l’obscurité d’Etat, parce qu’elle parlait trop, parce qu’elle enquêtait trop précisément, parce qu’elle mettait en cause les commanditaires des crimes quotidiens en Tchétchénie, le dictateur Kadyrov, les services secrets de l’armée russe, les diverses mafias lâchées la bride sur le cou, et leurs patrons au Kremlin. Les enlèvements extrajudiciaires exécutés par des hommes cagoulés, les maisons des civils incendiées en “punition”, avec parfois leurs habitants bloqués sciemment à l’intérieur, les prises d’otages que les services publics rendent en vie ou en morceaux contre dollars, les femmes violées devant leur mari.

Vous savez tout. Rien de neuf dans le martyre tchétchène depuis la première guerre déclenchée par Moscou en 1994. Rien de neuf, sauf que la victoire russe a été déclarée, que la paix poutinienne règne et que la terreur continue.

Rien de neuf. Devant le cadavre de Natalia Estemirova, je trouve désespérément les mêmes mots et les mêmes pensées, les mêmes émotions et les mêmes larmes qu’à la mort de mon amie Anna Politkovskaïa. Laquelle m’avait présentée son amie, me demandant de la soutenir pour le prix Sakharov (elle reçut la médaille Schuman). Elles se connaissaient depuis la première guerre, toutes deux intrépides partirent à la recherche de la vérité sur un massacre de longue durée, qui a fait disparaître un civil sur cinq. Toutes deux, cassandres de notre temps, prêchaient dans le désert, prévoyant que le chaos s’étendrait au Caucase (nous y sommes) et que les règlements de comptes mafieux et officiels gagneraient la Russie même (nous y sommes).

La Tchétchénie ? Une poussière d’empire, mais un cas d’école pour l’humanité : un million d’habitants avant-guerre, 200 000 morts, 40 000 enfants tués (et combien d’orphelins ?), une capitale rasée, villes et villages réduits en cendres. Et après ? L’éducation par la peur et la corruption, ou comment réduire le peuple au silence. Pas seulement les Tchétchènes, mais les Russes et si possible nous, tranquilles citoyens des nations démocratiques. Les façades rutilantes des immeubles reconstruits à Grozny mentent.

Rien de neuf, à l’Ouest ; du côté de l’Europe paisible et encore prospère, on s’habitue. A l’Est, les assassinats se suivent, se ressemblent et soulèvent chez nous quelques indignations vite oubliées. Nous n’allons pas, bien sûr, faire la guerre – fût-elle froide – à la grande Russie, donc retournons vite au “business as usual”. Ce type de conduite d’évitement provoque depuis longtemps la moquerie du couple dirigeant au Kremlin, qui ne se gène pas pour caricaturer publiquement nos représentants, et suscite l’ironie attristée des dissidents qui partagent notre goût de la liberté et de la démocratie.

Serguei Kovaliev, l’ami de Sakharov, demande à quoi servent les diplomates et les chancelleries si la seule alternative est soit la guerre, soit une définitive complaisance pour le règne des mafias et du despotisme ? A quoi servent les ministres des affaires étrangères s’ils s’avèrent incapables de prévoir des pressions économiques, culturelles ou diplomatiques susceptibles de civiliser quelque peu d’inquiétants voisins à nos frontières ?

Il y a pourtant quelque chose de nouveau. Après le meurtre toujours non élucidé d’Anna Politkovskaïa, Ramzam Kadyrov, le protégé de Poutine soupçonné d’en être le commanditaire, fit élever dans sa capitale une stèle de marbre noir à la gloire des journalistes et combattants des droits de l’homme “assassinés pour leur liberté de parole”. Non, vous ne rêvez pas.

Après le meurtre de Natalia Estemirova, il publia son indignation et s’érigea chef d’une enquête pour châtier les coupables. Medvedev itou. Le clou de cette farce et attrape fut atteint à Berlin : Angela Merkel réclama une enquête, Medvedev en promit une, puis la chancelière allemande et le président russe tombèrent dans les bras l’un de l’autre, se promettant une amitié industrielle indéfectible. Joli festival de contrats mirobolants, deux jours seulement après la découverte de Natalia, deux balles dans la nuque, au bord d’une autoroute.

Kadyrov sait punir, il y prend même du plaisir, dit-on. Punir qui ? Son premier “acte de justice” en dit long : il porte plainte contre Oleg Orlov, fondateur de Memorial avec Sakharov et compagnon de lutte de Natalia Estemirova. Oui, Medvedev, le “gentil” clone de Poutine, va diligenter une enquête pour cajoler le monde entier. A-t-il retrouvé les assassins d’Anna ? Ceux de Stanislav Markelov et d’Anastasia Barbourova ? Ceux de la multitude d’anonymes ? A-t-il livré à la Grande-Bretagne celui de d’Alexandre Litvinenko ? Non ! L’homme siège à la Douma et se gausse à la télé. Juré, il va faire son possible, lui qui vient de promouvoir la chasse aux “antipatriotes”, entendez ceux qui étudient les crimes de Staline durant la deuxième

guerre mondiale, avant, après.

Orwell a découvert la novlangue moderne : “La guerre c’est la paix, la servitude c’est la liberté”. Il tenait ces paradoxes pour le propre de la propagande totalitaire. Etrange progrès : les démocraties s’appliquent désormais à ne pas rester en retard d’une hypocrisie.

Le 17 juillet, une camionnette jaune transporta le corps de Natalia, entourée de ses amis, les meilleurs, les plus courageux et les plus audacieux de Grozny. Elle remonta lentement l’avenue Poutine, ces “Champs-Elysées” de la capitale reconstruits et baptisés du nom de son bourreau. Cette “avenue Poutine” que jamais Natacha n’emprunta de son vivant, refusant l’injure cynique faite à son peuple décimé contraint de boire la servitude jusqu’à la lie. A Moscou, rendant hommage à Natacha, nouvelle martyre de la vérité, aux côtés des esprits libres de Memorial, il y avait l’infatigable Lioudmila Alexeevna, 82 ans, figure de la dissidence antisoviétique. A Paris, lors d’une brève cérémonie à la fontaine Saint-Michel, j’ai serré dans mes bras Natalia Gorbanevskaïa, la poétesse qui manifesta, son bébé dans les bras, sur la place Rouge en août 1968 contre les tanks russes qui écrasaient Prague insurgée. Elle écopa de l’asile psychiatrique.

Inébranlables femmes flammes, vous êtes plus déterminées que la sauvagerie d’en face, plus fortes que nos recroquevillements. Vous sauvez la fierté des peuples caucasiens, la dignité de la culture russe qui fut toujours de résistance et si notre humanité trouve un visage, c’est le vôtre. Anna et Natacha, merci.

5 Comments

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  1. ermes / Jul 27 2009 3:23 PM
  2. ermes / Aug 17 2009 9:42 AM

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